Éditions dont on a fait usage pour rédiger la traduction de Lao-tseu et les notes perpétuelles qui l'accompagnent

Le texte chinois de notre édition est presque entièrement conforme à celui de l'édition E que possède la Bibliothèque royale de Paris. Nous y avons introduit une trentaine de variantes, dont on trouvera à la fin de l'ouvrage l'indication et l'origine authentique.

Édition A. — Cette édition renferme le commentaire composé, sous la dynastie des Hàn, par 河上公Héshàng Gōng, qui prenait tantôt le titre de 河上丈人Héshàng Zhàngrén, c'est-à-dire « le grand homme qui habite sur les bords du fleuve Jaune », tantôt celui de 河上公Héshàng Gōng. On rapporte que, l'an 163 av. J.-C., il présenta son commentaire à l'empereur 孝文帝Xiàowéndì, qui était venu le visiter dans sa modeste retraite. 司马迁Sīmǎ Qiān le mentionne honorablement dans sa notice biographique de 乐毅Yuè Yì. (Cf. 《四库全书总目》Sìkù Quánshū Zǒngmù, liv. CXLVI, fol. 5.)

Plusieurs personnes possèdent à Paris, et j'ai moi-même reçu de Pékin, une édition en 2 livres dont les notes sont faussement attribuées à 河上公Héshàng Gōng, et où l'on ne trouve pas une seule phrase du commentaire original. La glose et le commentaire paraissent rédigés d'après l'édition 《道德真经指义》Dàodé Zhēnjīng Zhǐyì, publiée en 1690 par 纯阳真人Chúnyáng Zhēnrén, qui renferme toutes les rêveries des 道士dàoshi modernes. C'est notre édition F, que nous n'avons citée que deux ou trois fois, dans des passages qui ne touchent nullement à la doctrine de l'auteur.

Édition B. — Cette édition renferme le commentaire de 范应元Fàn Yìngyuán, qui vivait vers l'an 1208, sous la dynastie des Sòng. Suivant le 《四库全书总目》Sìkù Quánshū Zǒngmù (liv. CXLVI, fol. 10), c'était un 道士dàoshi qui avait fixé sa résidence sur le mont 武夷Wǔyí ; il prenait tantôt le titre de 慈星真人Cíxīng Zhēnrén, tantôt celui de 白真Bái Zhēn ou de 陈仙Chén Xiān. Son interprétation se rapproche en beaucoup d'endroits de celle des religieux bouddhistes qui ont commenté 老子Lǎozǐ.

Édition C. — Cette édition a été composée, sous la dynastie des Míng (entre 1368 et 1647), par un 道士dàoshi qui prenait le titre de 遯世Dùnshì. Elle offre une glose perpétuelle et une paraphrase.

Édition D. — Cette édition a été composée, sous la dynastie des Wèi, par 王弼Wáng Bì (entre les années 226 et 249). L'édition dont nous nous sommes servi a été publiée en 1773, en 2 petits vol. in-18. Suivant les critiques chinois, le texte est rempli de fautes, et les notes très courtes qui y sont jointes sont obscures à force de concision et de subtilité.

Édition E. — Cette édition, intitulée 《老子解》Lǎozǐ Jiě, se trouve à la Bibliothèque royale (fonds de Fourmont, n° 288). Elle a été publiée en 1530 par 萧畅Xiāo Chàng, que les bibliographes appellent ordinairement 高翥仙翁Gāozhù Xiānwēng, et qui prend tantôt le titre de 大宁居士Dàníng Jūshì (c'est-à-dire « le docteur retiré dans le cabinet de la grande tranquillité »), tantôt celui de 西原仙翁Xīyuán Xiānwēng, ou « le docteur de la plaine occidentale ».

Les écrivains chinois aiment à se désigner par des titres tirés des lieux qu'ils habitent, ou près desquels ils vivent retirés. C'est ainsi que parmi les commentateurs du 《太平经》Tàipíngjīng, traité de morale à l'usage des 道士dàoshi, nous voyons le docteur 玉溪子Yùxīzǐ, ou « le docteur de la rivière du jade » ; 乔山子Qiáoshānzǐ, ou « le docteur du mont Qiáo » ; 赤松子Chìsōngzǐ, ou « le docteur de la colline rouge », etc. La « plaine occidentale » (西原Xīyuán) où demeurait 萧畅Xiāo Chàng, était située à une petite distance de , son pays natal. C'est pour cette raison (est-il dit dans l'introduction) qu'il prit le titre de 西原仙翁Xīyuán Xiānwēng, c'est-à-dire « le docteur de la plaine de l'ouest ».

La préface nous apprend que , pays où était né 萧畅Xiāo Chàng, est celui qui a donné naissance à 老子Lǎozǐ. Peut-être que cette communauté d'origine lui inspira l'idée de commenter notre philosophe.

Le commentaire de 萧畅Xiāo Chàng est, comme il le dit lui-même, un résumé des meilleurs commentaires ; mais il est insuffisant pour entendre l'ouvrage d'un bout à l'autre. À l'exception de celui de 河上公Héshàng Gōng, c'est le plus clair et le plus précis de tous ceux que j'ai eus à ma disposition : aussi en ai-je fait un grand usage dans mes notes et en particulier dans celles du second livre du 《道德经》Dàodéjīng. Cet auteur émet quelquefois des idées fortes et hardies, qu'on s'étonne de trouver chez un écrivain chinois.

Édition F (《道德真经指义》Dàodé Zhēnjīng Zhǐyì). — Voir ce qui en a été dit plus haut (édit. A) à l'occasion de l'édition pseudonyme de 河上公Héshàng Gōng.

Édition G.《老子义》Lǎozǐ Yì (ou 《老子翼》Lǎozǐ Yì, Secours pour l'intelligence de 老子Lǎozǐ, en 3 livres). Cette édition a été publiée en 1588 par 焦竑Jiāo Hóng, surnommé 澹园Dànyuán. C'est la plus étendue et la plus importante que nous connaissions jusqu'ici. Elle offre, en général, la reproduction complète des plus célèbres commentaires composés par 刘戬夫Liú Jiǎnfū, 欧阳修Ōuyáng Xiū, 李息斋Lǐ Xīzhāi et 苏子由Sū Zǐyóu, et des extraits considérables de soixante autres interprètes.

À la suite de chaque chapitre, 焦竑Jiāo Hóng donne souvent une glose dans laquelle il explique ou corrige le texte d'après les éditions qui ont précédé la sienne. Une grande partie de sa glose, que nous désignons par G, a été mise à profit ou extraite textuellement par 萧畅Xiāo Chàng (édit. E).

Le livre III renferme des pièces et notices relatives à 老子Lǎozǐ, à son livre et aux différentes éditions dont on donne les préfaces les plus importantes. Il est terminé par un choix de variantes des éditions que l'auteur a eues à sa disposition. Nous croyons utile de faire connaître les principaux commentaires que nous a fournis cette édition.

1. 刘戬夫Liú Jiǎnfū. Son commentaire, intitulé 《老子传》Lǎozǐ Zhuàn, en 4 livres, fut composé, sous la dynastie des Sòng, dans l'année 1078. Le docteur 严平Yán Píng dit que ce commentaire est l'un des plus estimés.

2. 欧阳修Ōuyáng Xiū. Son commentaire, intitulé 《道德真经注》Dàodé Zhēnjīng Zhù, en 4 livres, a été composé sous la dynastie des Yuán, entre 1260 et 1368. (Cf. 《四库全书总目》Sìkù Quánshū Zǒngmù, liv. CXLVI, fol. 12.)

3. 李息斋Lǐ Xīzhāi, surnommé 嘉谋Jiāmóu. Son commentaire, intitulé 《道德经解》Dàodéjīng Jiě, se trouve, suivant 焦竑Jiāo Hóng, dans la grande collection de livres 道士dàoshi intitulée 《道藏》Dàozàng. Mais ce critique ne donne aucun détail sur l'auteur ni sur l'époque où il a vécu.

4. 《道德经解》Dàodéjīng Jiě, en 2 livres. Cette édition a été publiée en 1098, par 苏辙Sū Zhé ou 苏东坡Sū Dōngpō, appelé plus souvent 苏子由Sū Zǐyóu, qui a été l'un des écrivains les plus célèbres de la dynastie des Sòng. On peut voir sa biographie dans les 《宋史》Sòng Shǐ, t. X, p. 70-104. Son style est pur, élégant et souvent profond. On remarque une partie de ces qualités dans le portrait du Saint, pages 142, note 13, et passim malgré la faiblesse de ma traduction.

L'auteur s'est proposé principalement d'expliquer 老子Lǎozǐ d'après les idées bouddhiques. Suivant 马端临Mǎ Duānlín, il puisa ce système d'interprétation dans la société des religieux 沙门shāmén qu'il fréquenta longtemps à 永州Yǒngzhōu.

Les renseignements qu'il donne lui-même sur la manière dont son commentaire a été composé et conservé sont entremêlés de détails curieux et touchants :

« À l'âge de quarante ans, je fus exilé à 永州Yǒngzhōu. Quoique cet arrondissement soit peu étendu, on y voit beaucoup d'anciens monastères ; c'est le rendez-vous des religieux bouddhistes de tout l'empire. L'un d'eux, nommé 道洵Dào Xún, fréquentait la montagne de 黄泥Huángní ; il était neveu de 南公Nángōng. En gravissant ensemble les hauteurs, nos deux cœurs s'entendirent. Il aimait à partager mes excursions. Un jour que nous discourions ensemble sur le Dào, je lui dis :

— Tout ce dont vous parlez, je l'ai déjà appris dans les livres des lettrés.

— Cela se rattache à la doctrine de , me répondit Xún, comment les lettrés l'auraient-ils trouvé eux-mêmes ?

(Après un long dialogue dans lequel 苏辙Sū Zhé s'efforce de montrer les points de ressemblance qui existent, suivant lui, entre la doctrine de 孔子Kǒngzǐ et celle de , il continue ainsi :)

« À cette époque, je me mis à commenter 老子Lǎozǐ. Chaque fois que j'avais terminé un chapitre, je le montrais à Xún, qui s'écriait avec admiration :

— Tout cela est bouddhique !

Après avoir demeuré pendant cinq ans à 永州Yǒngzhōu, je revins à la capitale, et, quelque temps après, Xún s'éloigna pour voyager. Vingt ans se sont écoulés depuis cette époque. J'ai revu et corrigé constamment mon commentaire de 老子Lǎozǐ, et je n'y ai jamais trouvé un seul passage que je ne pusse faire accorder avec la doctrine de . Mais, parmi les hommes de mon temps, il n'y avait personne avec qui je pusse m'entretenir de ces matières relevées. J'eus ensuite l'occasion de revoir Xún et je lui montrai mon commentaire.

Dans la deuxième année de la période 大观Dàguān (en 1108), 苏辙Sū Zhé écrit que, voyageant dans le midi, du côté de 海康Hǎikāng, il rencontra par hasard 子瞻Zǐzhān, son frère aîné, et resta près de lui, pendant une dizaine de jours, dans l'arrondissement de 藤州Téngzhōu. Il l'entretint de ses anciens travaux littéraires sur le 《诗经》Shījīng (le Livre des vers), le 《春秋》Chūnqiū et les anciens historiens, et lui confia son commentaire sur 老子Lǎozǐ.

« À cette époque, ajoute-t-il, j'eus le bonheur de rentrer en grâce auprès de l'empereur et je revins à la capitale. 子瞻Zǐzhān se rendit à 鄂州Èzhōu, y tomba malade et mourut. Dix années s'étaient écoulées depuis cet événement, et j'ignorais ce qu'était devenu mon travail sur 老子Lǎozǐ que j'avais laissé autrefois entre les mains de 子瞻Zǐzhān.

La première année de la période 政和Zhènghé (l'an 1111), je tombai par hasard sur les manuscrits de 子瞻Zǐzhān, que mon neveu Mài avait mis en ordre. Dans le nombre, je trouvai un manuscrit avec cette note : « Commentaire nouveau sur 老子Lǎozǐ qui me fut confié jadis par mon frère 苏子由Sū Zǐyóu ». Je ne pus le parcourir jusqu'au bout, le livre me tomba des mains, et je m'écriai en soupirant : « Si l'on eût eu ce commentaire à l'époque des guerres entre les royaumes (战国Zhànguó), on n'aurait pas eu à déplorer les maux causés par 张仪Zhāng Yí et 韩非Hán Fēi ; si on l'eût eu au commencement de la dynastie des Hàn, 孔子Kǒngzǐ et 老子Lǎozǐ n'auraient fait qu'un ; si on l'eût eu sous les Jìn et les Sòng (de 205 à 401), et 老子Lǎozǐ n'auraient pas été en opposition. Je ne m'attendais pas à faire, dans mes vieux ans, cette rencontre extraordinaire. » Je demeurai dix ans à 颍州Yǐngzhōu, et, pendant tout ce temps, je fis beaucoup de corrections et de changements à ces quatre ouvrages (ses commentaires sur le 《诗经》Shījīng, le 《春秋》Chūnqiū, le 《老子》Lǎozǐ, et son travail sur les anciens historiens). Je pensais que les paroles des Saints ne peuvent être comprises à la première lecture ; aussi, chaque fois que j'avais trouvé une idée nouvelle, je n'osais m'arrêter au premier sens. Aujourd'hui je serais heureux de pouvoir améliorer mon commentaire sur 老子Lǎozǐ, à l'aide des avis de 子瞻Zǐzhān, mais, hélas ! je ne pourrai plus le consulter. » Je n'eus pas la force de continuer et je fondis en larmes.

朱熹Zhū Xī, le célèbre interprète des livres classiques, blâme sévèrement 苏子由Sū Zǐyóu d'avoir voulu faire accorder la doctrine des lettrés avec celle de 老子Lǎozǐ, et d'y avoir cousu (c'est l'expression du critique) la doctrine des bouddhistes. Ces rapprochements particuliers à 苏东坡Sū Dōngpō lui paraissent complètement erronés. Il trouve aussi 苏东坡Sū Dōngpō rempli d'orgueil et de présomption lorsqu'il dit que parmi les hommes de son temps il n'y en avait pas un seul avec qui il pût s'entretenir sur ces matières philosophiques. (Voy. 《文献通考》Wénxiàn Tōngkǎo, liv. CXI, fol. 1 verso.)

Édition H.《道德经解》Dàodéjīng Jiě, en 2 livres. Cette édition a été publiée sous la dynastie des Míng (entre les années 1368 et 1617) par un religieux bouddhiste nommé 德清Déqīng. Elle est imprimée avec une rare élégance, en un volume petit in-fol. Le texte et le commentaire sont ponctués avec soin. Le style de la glose et du commentaire est clair et facile. L'auteur y montre une partialité bien naturelle pour la doctrine de ; mais il est aisé de distinguer les principes qui lui sont particuliers et ceux qui sont d'accord avec le système général de 老子Lǎozǐ.